Et voilà ce mercredi, Apple annonce en grande pompe et grosse pomme, le lancement de l’Iphone 14, avec plus de 1 000 euros supplémentaires, lors d’une conférence dont seule la marque a le secret. Une mise en scène et une présentation qui ne signifieraient pas 2007, date de la mythique Keynote de Steve Jobs sur le premier Iphone. Oui, mais voilà, 15 ans se sont écoulés et les gimmicks du jour peuvent maintenant sembler un peu anachroniques par rapport à notre époque.

Un géant dans son monde

Première preuve, « la dimension écologique n’a jamais été évoquée mercredi quand on parle d’une des marques les plus puissantes au monde. Cela montre comment ce genre de géant vit dans son propre monde, loin des problèmes de temps et de population », note Marion Trommenschlager, Ph.D. d’InfoCom Sciences et chercheuse sur les usages numériques : « On pourrait imaginer qu’Apple soit fier d’un prix inférieur consommation d’énergie de son produit ou sa fabrication avec des matériaux plus verts, mais absolument pas ». Toutes les revues de presse s’accordent à dire que l’iPhone 14 n’a pas connu de changements significatifs avec son prédécesseur, l’iPhone 13. Il faut dire que ce dernier est sorti il ​​y a seulement un an, ce qui laissait peu de temps pour une véritable révolution.

Vieillir dans le nouveau marché

La critique n’est pas nouvelle, les anti-Apple se moquant de l’absence de changements majeurs entre chaque iPhone depuis 15 ans, mais elle a une autre résonance cette année, alors que le changement climatique frappe comme jamais. “Le monde de l’achat d’un nouveau téléphone par an peut être démodé. Le modèle Apple semble moins pertinent qu’avant », s’interroge Cécile Désaunay, directrice d’études aux Futuribles et auteure de La Société de déconsommation, La révolution du mieux vivre en consommant moins (Editions Alternatives, 2021). On a déjà une longueur d’avance sur la consommation : « Le nombre de smartphones neufs vendus a chuté de 11 % entre 2019 et 2021. Une tendance qui s’explique par l’allongement de la durée de vie des appareils, mais aussi par la croissance du marché pour l’occasion, ” décrypte Pascale Hébel, co-directrice du marketing au Credoc (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie). Et ce mode de consommation s’étend bien au-delà des téléphones : “Il en va de même dans le secteur automobile, où les ventes de véhicules neufs sont en baisse”, ajoute l’expert. Du coup, Apple a parfois tendance à lui forcer la main, note Dominique Desjeux, anthropologue spécialiste de la consommation : « La marque a construit son empire en circuit fermé : elle contrôle tous ses appareils, qui sont incompatibles avec d’autres systèmes. Il peut décider d’une mise à jour de son système d’exploitation qui rend ses anciens modèles obsolètes, vous obligeant à en acheter un nouveau. La marque avait été particulièrement touchée, certains nouveaux produits étant incompatibles avec ses anciens téléphones. L’Europe a dénoncé une partie de la fin du loisir, obligeant à la standardisation des chargeurs portables parmi tous les modèles à partir de 2024.

L’iPhone sera-t-il le jet de demain ?

Pour compenser cette perte d’acheteurs, les prix augmentent, contribuant à rendre le produit encore plus marginal : “Aujourd’hui, l’iPhone 14 max coûte plus qu’un SMIC net en France, encore une fois un changement symbolique. Tout le monde ne peut pas changer d’iPhone tous les ans”, précise Cécile Désaunay. Une façon de boire destinée à une élite et pas trop écolo, ça vous rappelle quelque chose cet été ? Pendant des années, les voyages en jet privé se sont déroulés sans le moindre dérangement des foules, avant de faire scandale et de devenir une source de polémiques de masse depuis cet été caniculaire. Dans un avenir proche, l’obtention du dernier iPhone sera-t-elle également une pratique controversée ? “Les campagnes d’information se multiplient et les inégalités sociales et climatiques deviennent de moins en moins tolérables”, reconnaît Elisabeth Tissier-Desbordes, maître de conférences à l’ESCP et experte en comportement des consommateurs : “Il y a une grande sensibilité à la surconsommation et nous n’acceptons pas que les plus riches peuvent se permettre d’épuiser les ressources plus que d’autres. La surconsommation est d’autant plus décriée qu’on sait qu’elle touche tout le monde par ses effets écologiques.” L’iPhone pourrait un jour se retrouver dans le box des accusés écologistes : « Le produit consomme beaucoup, soit de data centers, soit de matériaux rares. Pour l’heure, la consommation mobile échappe à ses procès, mais pour combien de temps ? demande Dominique Desjeux. Rassurez-vous, nous ne reviendrons pas à l’époque des signaux de fumée, des pigeons voyageurs et des télégraphes. Pourtant, “il est possible que le mannequin sorte le même produit ou presque tous les ans et que vous l’achetiez le second” conclut l’anthropologue. L’iPhone 10 est encore assez bon, vous savez.